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Kafka / Hölderlin – Monde neuf

© H. Bellamy, “Le Secret d’Amalia”

D’après Le Château de Franz Kafka, et La mort d’Empédocle de Friedrich Hölderlin – mise en scène : Bernard Sobel, en collaboration avec Daniel Franco – au Théâtre du 100.

 La première partie du spectacle puise dans Le Château, de Kafka et en extrait un chapitre, Le Secret d’Amalia dans une traduction de Jean-Pierre Lefebvre et une adaptation d’Annie Lambert, qui le pensent comme Le Châtiment d’Amalia. Nous sommes au milieu du roman, Olga raconte : « Il y a au Château un haut fonctionnaire nommé Sortini… » « J’ai déjà entendu parler de lui, dit K., il a été mêlé à ma nomination. » Ainsi commence le spectacle, dialogue entre deux personnages, Olga et K. qui cherche désespérément à atteindre le Château. Monologue plutôt, d’Olga face à K. qui l’écoute attentivement. Ensemble ils évoquent cette personnalité invisible et mystérieuse, puissante éminence grise au Château, Sortini. En jeu d’un côté, la sœur d’Olga, Amalia, au collier en grenats de Bohême qu’Olga lui a prêté – Amalia dont Olga est jalouse – Amalia à la recherche d’un fiancé, mais qui décline avec vigueur l’offre sordide de Sortini. D’une terrible grossièreté ce dernier lui ordonnait de monter le retrouver à l’Hôtel des Messieurs, dans la demi-heure qui suivait la transmission d’une lettre qui lui fut transmise par porteur. En déchirant cette lettre et sans le savoir, Amalia ruinait sa famille : leur père, dont elles étaient si fières, « troisième chef de manœuvre des pompiers », fut débouté de ses fonctions et personnellement anéanti par le système opaque du château.

Dans ce tête-à-tête où Olga tient le leadership en racontant son histoire familiale, se dessinent la personnalité d’Amalia qui apparaît furtivement dans cette scène (Mathilde Marsan) et la présence d’autres personnages, tous plus mystérieux les uns que les autres, dont leur frère Barnabé et la fiancée de K., Frieda, la redoutable. Les deux personnages se font face : assis à distance et vêtu d’un manteau en fourrure, K. (Matthieu Marie), est une présence forte et relativement silencieuse. Debout contre le mur du côté cour, Olga (Valentine Catzeflis) porte un tablier, et à la main un torchon blanc où elle dépose sa nervosité, concentrée à défendre et à réhabiliter sa famille. Elle pose les mots de sa voix magistrale et donne au texte une belle épaisseur. Aucun geste parasite, ni affecté, ni déplacé, le duo se construit sur cette musique de nuit que les deux acteurs portent.

 La seconde partie, après entracte, relit la troisième version de La mort d’Empédocle de Friedrich Hölderlin (1770-1843), de manière aussi dépouillée et intense. Trois versions inachevées ont été écrites pour cette tragédie politique et personnelle, dans l’attirance démesurée d’Empédocle pour la mort et l’anéantissement. C’est aussi un magnifique poème signé de l’auteur des Odes et des Hymnes, Hölderlin, incarnant le romantisme allemand et qui lui-même avait sombré dans la folie. Empédocle c’est aussi Hölderlin. « Car mourir je le veux, oui. Tel est mon droit… » dit le personnage. Matthieu Marie qui incarnait K. dans la première partie devient un magnifique Empédocle, dans la seconde. Dans une longue seconde scène il fait face à son ami Pausanias, sobrement interprété par Arthur Daniel – qui lui réitère fidélité et amour. Empédocle finit par l’éconduire à la folie et brouille les pistes, lui préférant retraite, ermitage et destruction : « N’avez-vous pas fait du souvenir un poignard ?… Non ! tu es sans reproche, mais je ne peux, mon fils ! bien supporter ce qui s’approche trop de moi. » Et Pausanias essaie de convaincre : « Je sais bien ce qui pour toi est passé, pourtant, toi et moi, nous sommes ce qui nous reste… » avant de s’entendre dire par Empédocle : « C’était mon ordre ultime, Pausanias ! La domination prend fin. »

© H. Bellamy, “La Mort d’Empédocle”

Dans son œuvre, Hölderlin crée la rencontre entre Empédocle et le philosophe Manès, fondateur du manichéisme : « Je te connais à ta parole obscure, et toi, Toi, l’omniscient, me reconnais aussi » lui lance Empédocle. « La douleur t’embrase l’esprit, malheureux » lui répond Manès. Ici, en arrière-plan et portant une longue robe, l’actrice Valentine Catzéflis en appelle à la Clarté. Dans sa quête de l’anéantissement, Empédocle s’approche de l’Etna avec le projet de s’y jeter, mais en fait ne l’atteindra pas. Il y a du lyrisme et quelque chose de musical dans les mots de Hölderlin, en même temps que du tragique, il y a de la pensée et de la poésie.

Dans chacune des parties du spectacle, créé sous la direction de Bernard Sobel et Daniel Franco, Kafka / Hölderlin, Monde neuf,  les acteurs portent le texte dans toute sa densité et en son essence même, leurs voix sont chaudes et leur présence envahit l’espace.

Brigitte Rémer, le 2 février 2022

Avec : Valentine Catzéflis, Arthur Daniel, Matthieu Marie, Mathilde Marsan – scénographie Jacqueline Bosson – son Bernard Valléry – lumière Jean-François Besnard – production compagnie Bernard Sobel – Le Secret d’Amalia, dans Le Château de Franz Kafka, traduction de Jean-Pierre Lefebvre (La Pléiade/éd. Gallimard), adaptation Annie Lambert – La mort d’Emplédocle, de Friedrich Hölderlin, troisième version, une re-visitation des traductions disponibles en français a été nécessaire pour cette mise en scène.

Les 20, 21, 22, 27, 28, 29 janvier, 5, 10, 11, 12 février 2022 à 20h00 – 100 Rue de Charenton, 75012 Paris – tél. : 01 46 28 80 94 – site : www.100ecs.fr